Lucien Rebatet

Lucien REBATET (1903-1972), écrivain, critique de cinéma.

 

Correspondance adressée à l’étudiant et écrivain en herbe Yves Berger (1931-2000), futur directeur littéraire des éditions Grasset à partir de 1960. 8 lettres autographes signées et billet autographe signé. 1954-1955.

 

4 lettres autographes signées (3 p. ½ in-4 ; 4 p. in-4 ; 4 p. in-4 ; 2 p. in-4). 1 lettre autographe signée adressée à la petite amie d’Yves Berger (2 p. in-4). 3 lettres autographes signées au format in-8. 1 billet autographe signé.

Condamné à mort en 1946 pour collaboration durant l'Occupation, Lucien Rebatet est gracié en avril 1947, puis est libéré de prison en juillet 1952. Cette même année, il publie chez Gallimard Les Deux Étendards, un roman écrit en prison qui sera considéré par certains comme un chef-d’œuvre, loin de son pamphlet antisémite et collaborationniste Les Décombres publié en 1942. L'écrivain est de retour à Paris en 1954.

Riche et intéressante correspondance entre un écrivain sulfureux et un jeune étudiant qu'il espère voir comme son disciple en lui donnant des conseils littéraires, tout en livrant ses pensées.

 

29 mai 1954, 3 p. ½ in-4. Il a reçu « la très belle lettre » qu’Yves Berger a envoyée à la N.R.F. et se propose de lui envoyer un exemplaire dédicacé des Étendards pour, on le comprend par la suite, la petite amie d’Yves Berger. Il souligne que ce roman est un ouvrage dédié à la jeunesse, « ce qu’a tout de même très bien vu et dit Étiemble » à propos duquel il ne lui pardonne pas ses « injures initiales », même s’il aurait souhaité dialoguer avec lui.

Il constate l’apparition d’étudiants « dont le dévouement à [sa] littérature fait petit à petit tache d’huile », mais critique leur timidité. Il a hâte de lire son article sur Les Deux Étendards.

Dans la suite de la lettre, il évoque longuement son roman Les Deux Étendards.

« C’est un vrai roman français chose assez rare (…) il a le grand mérite de se mouvoir dans la passion, que la littérature a presque entièrement oubliée ». Il se plaint de l’accueil ridicule qui a été fait à son livre qu’il explique par son ampleur.

« L’article le plus complet et le plus pénétrant sur L’Étendard a paru le mois dernier dans Rivarol sous la signature de Robert Poulet (avec les réserves sur ma lubricité que bien entendu je n’accepte pas ».

Il évoque aussi Les Épis mûrs « dont le caractère anarchique n’a pas dû [lui]

échapper ».

Il demande à Yves Berger s’il a lu Les Décombres : « c’est un livre dont je couperais trente pages, écrites pour les besoins de la bagarre, où il y a constamment beaucoup trop d’adjectifs, mais que je suis, moins que jamais disposé à renier. Je viens même de le relire avec une assez grande satisfaction ». Il termine sur la revue L’Observateur : « sa partialité est moins flagrante que celle de Sartre ».

 

29 juin [1954], 4 p. in-4. Il a envoyé un exemplaire des Deux Étendards à l’amie d’Yves Berger. Il n’a pu s’empêcher d’y faire quelques corrections : « c’est peut­ être une manière de donner une petite valeur bibliophilique au bouquin ». Il raconte son entrevue avec Étiemble aux éditions Gallimard : « C’était à celui qui était le plus lourdaud. Mais à la fin nous nous sommes serré la main ». Rebatet a parlé d’Yves Berger à Étiemble qui a fait son éloge : « esprit très doué, étudiant d’élite, une valeur sûre… ». Il aurait bien voulu lui expliquer « comment l’auteur des Décombres peut­il être celui des Deux Étendards », il l’écrira. À propos des Décombres, il regrette de ne pouvoir lui en faire cadeau, car il est devenu une rareté à Paris. Peut-être que son ami Galtier-Boissière en a un exemplaire.

Il revient sur la trame narrative des Deux Étendards, dont le personnage d’Anne- Marie a intrigué l’amie d’Yves Berger. Rebatet commente la dimension religieuse du personnage, une « nostalgie de dieu » et non le catholicisme caricatural.

« L’air était bien autrement purifié de tous ces sales miasmes, après l’autre guerre ». « Vous devriez dire non à tous les dogmes, y compris celui de la patrie, tourner le dos à tous les dieux, et surtout au dieu social, le plus affreux sans doute, bâtard du dieu chrétien, si bien annoncé par Nietzsche. Il faut reconquérir sa liberté pour soi seul ». C’est le meilleur service à rendre à ce « monde écrasé par le collectif ». On trouve pointer cette idée chez Montherlant « mais il est trop lâche et trop cabot, malgré son immense talent, pour avoir le courage de la soutenir ».

Il répond ensuite à la question que lui pose Yves Berger, à savoir s’il y a une morale à tirer des Étendards. Il est d’accord avec Yves Berger sur la notion d’allégresse, le mot de Blanchot qu’il ne connaissait pas. « L’allégresse est ce qui reste de meilleur, l’allégresse non par frivolité, mais dans la lucidité », lui qui a eu une vie pleine de corvées, de difficultés matérielles, quinze ans de chaînes journalistiques, sept ans de bagne, « maintenant la vie à refaire ». À vingt ans, il avait pour idéal Rembrandt : peindre et peindre malgré sa vie difficile.

 

Il commente les noms que cite Yves Berger dans son article.

« J’attendais quelque chose de Camus après Sisyphe. Rien n’est venu. La Peste est une allégorie glacée. L’Étranger ne me touche pas, parce qu’il s’agit d’un type amorphe. Le pseudo classicisme de l’écrivain m’exaspère. On me dit que l’homme est très honnête, et qu’il ne s’aperçoit pas de certaines de ses malhonnêtetés intellectuelles ».

« Malraux : son côté aventurier est très séduisant. La Condition humaine, La Voie royale, c’est vraiment trop mal écrit, avec des impropriétés comme des montagnes, avec des effets de pathétiques vagues, bon marché, qui font penser à Paris­Match, à la presse du cœur. Dans le Malraux esthéticien (…), il y a une énorme part d’un charabia qui m’apparaît extrêmement démodé ». Il ajoute à l’intention de l’étudiant : « il ne faut surtout pas écrire comme Malraux. Je parle de l’écriture, non de la technique romanesque parfois habile ».

« Encore sur Camus et Malraux : leur totale absence d’humour m’afflige. Non, la vie n’est jamais aussi sérieuse ! »

« Céline : Celui du Voyage, de Mort à crédit, très grand, voilà du vrai neuf ; je lui dois beaucoup. Avec Proust, c’est pour moi l’écrivain français le plus considérable depuis 40 ans. Le personnage est inouï. Je l’ai bien connu »

 

8 décembre 1954, 4 p. in-4. Il a lu avec beaucoup d’intérêt Galé, un récit envoyé par Yves Berger. Il aurait été extrêmement fier si, à son âge, il avait écrit « un texte aussi élaboré, aussi serré, aussi personnel ». S’il est un « maître » et, Yves Berger, son « disciple », il ne veut surtout pas le détourner de lui-même : « car vous êtes déjà quelqu’un, ce qui est considérable ».

Rebatet fait ensuite une description de la personnalité d’Yves Berger, d’abord apparente puis révélatrice dans son écriture. Après quelques heures passées ensemble, il a quelques remords : « nous nous sommes ébroués dans notre égoïsme masculin et culturel comme si la charmante Galé avait été une figurante, alors qu’il n’y a qu’elle qui compte ». Il aurait bien voulu avoir les « mots » d’Yves Berger à propos des Étendards. Il l’invite à venir le voir ou lui envoyer autant de chapitres de son roman qu’il voudra bien. Il est stupéfait de la culture d’Yves Berger et de son jugement. Il donne également des nouvelles de son travail d’écriture : « J’ai beau avoir écrit trois bons livres, ce métier reste toujours aussi difficile ». Il se régale avec des passages prodigieux d’Ulysse de Joyce.

 

11 janvier 1955, 2 p. in-4. Cette lettre est adressée à l’amie d’Yves Berger. L'écrivain lui donne des nouvelles de son compagnon parti seul pour écrire. Il l’avait trouvé sonné de ses dernières aventures en Angleterre. « Il m’a rapporté hier soir mon bouquin interdit Les Décombres, que je lui avais prêté, avant de rejoindre la Savoie ». Rebatet, avant son départ, aurait bien voulu le présenter à quelques personnages importants, notamment Jean Paulhan. Il l’a encouragé à partir en retraite : « son roman doit passer avant tout divertissement ». « Je voudrais le donner en exemple à plusieurs jeunes écrivains, Roger Nimier entre autres, qui gaspillent présentement leurs qualités dans le commerce des plaisirs automobiles ». Il mettra tout en œuvre pour publier son manuscrit. « Je puis vous dire que notre auteur est vraiment passé au rang de disciple selon mon cœur ».

 

16 avril 1955, 2 p. in-4. Il évoque assez longuement l’écriture de Margot l'enragée.

« Je ne sais pas du tout comment sera accueilli ce bouquin ». Il souhaite se consacrer à des travaux plus faciles comme écrire une pièce de théâtre. « J’ai mis votre photo dans mon portefeuille, et je vais l’exhiber (je l’ai déjà montrée tout à l’heure à Jacques Becker, le metteur en scène) ».

Rebatet le met en garde contre son zèle public pour « un mauvais sujet » de sa sorte qui « risque à la fin de [lui] valoir des mots fâcheux dans l’Université ». Il lui conseille d’entretenir ses élèves avec des auteurs de tout repos « à peu près sacrés : Malraux, Camus, Bernanos ». Il lui demande avec insistance de lui communiquer les copies de ses élèves sur les Étendards. Il termine : « J’ai relu Mort à crédit : énorme chef­d’œuvre ».

 

2 mai 1955, 2 p. ½ in-8. Il s’excuse de l’avoir flanqué dehors, mais il préférait rester chez lui écrire. Il a rédigé deux pages sur Robert Kemp « tout à fait au poil ». Il l’encourage à finir son livre : « donc, au boulot, au boulot sans autre idée de journalisme, etc. On verra ensuite. D’abord le bouquin. Je serais extrêmement heureux de patronner à la N.R.F. le manuscrit d’un « nouveau », un manuscrit pour lequel je marcherais moi­même à fond ». « J’espère que Galé ne m’en veut pas de mes derniers mots antiféministes. C’est de la métaphysique, sans aucun rapport avec la réalité ».

En postscriptum : « Vous me faîtes beaucoup d’honneur en citant Laclos parmi mes ancêtres. Les Liaisons sont d’une perfection à laquelle ne peut atteindre un livre de 1 000 pages ».

 

18 mai 1955, 2 p. in-8. Yves Berger est impatient du retour de l'écrivain, Rebatet lui écrit : « en deux mots, vraiment difficile de vous donner un avis sérieux d’après les échantillons trop brefs », il préfère qu’il lui passe un coup de fil.

Non datée: une lettre (2 p. in-8) s’insère probablement avant leur rencontre. Il lui demande de l’appeler ou de lui envoyer un pneumatique, lui expliquant ce qu'est un pneumatique !

Non daté : 1 billet autographe signé, ½ page in-8. « Alors mon cher Berger, comment vont les amours ? A quand la terrible rencontre avec ces redoutables agrégatifs ?

Donnez signe de vie ».

Une lettre (4 p. in-4, non datée) hors correspondance Rebatet/Berger, mais liée à elle : Yves Berger a fait lire Les Décombres à un de ses amis. Celui-ci est

 

« écoeuré, non pas scandalisé, mais écoeuré » : « Je ne te pardonnerai pas de m'avoir laissé le livre de Rebatet entre les mains ! ». La lettre est signée « J ».

Rebatet, Lucien (correspondance)

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