Anne Marie de MARGUERYE, comtesse HAUTEFEUILLE

Anne Marie Caroline de MARGUERYE (1786-1861), comtesse d’HAUTEFEUILLE.

Une femme de lettres méconnue.

Très jeune, à l’âge de 15 ans, elle est contrainte à se marier avec le comte Eugène Texier d’Hautefeuille. Ce dernier, à partir de 1808, s’engage sur les champs de bataille napoléoniens et de la Restauration. Ne revenant pas, elle s’en sépare en 1814. Elle vit alors dans la solitude de son château à Agy, à quelques kilomètres de Bayeux. Gustave Desnoiresterres, dans un livre consacré à Balzac, raconte l’histoire de cette comtesse qui, après son divorce, fut ensuite abandonnée par son amant, le comte Guernon-Ranville qui préféra un mariage d’intérêt. Balzac en fit, en partie, le personnage de La Femme abandonnée (La Femme abandonnée, édition présentée, établie et annotée par Madeleine Ambrière-Fargeaud, Paris, Gallimard, Folio classique, 2018).

À partir de 1827, elle s’installe quelques années dans l’ancien couvent de l’Abbaye-au-Bois où Juliette Récamier occupe également un appartement. La comtesse retourne ensuite dans ses propriétés de province.

Elle publia des poésies : Souffrances (1834) qui évoquent ses parents, son grand-père et le château de Vierville (Cotentin), Fleurs de tristesse (1851-1852), en 1859 un opuscule Sur le divorce qui servit de préface à Malheur et sensibilité (1859).

Cette comtesse d’Hautefeuille ne doit pas être confondue avec Anne Albe Cornélie d’Hautefeuille, née Beaurepaire (17891862), comtesse Charles d’Hautefeuille, également femme de lettres, qui publie à la même époque, sous le pseudonyme d’Anna-Marie, plusieurs ouvrages, dont L’Âme exilée.

 

Correspondance de 11 lettres autographes signées adressées à André-Victor-Amédée, marquis de RIPERT-MONCLAR (1807-1871), magistrat, économiste, homme d’affaires. Plus de 36 p. in-8. 1839-1846.

Riche correspondance amicale et d’affaires. D’une santé chancelante, la comtesse souffre de la solitude et compte régulièrement sur l’aide du marquis. Quelques beaux passages.

 

1) Slnd. 4 p. in-8.

Vexée, elle n’écrit que maintenant, car elle n’a pas eu de nouvelles pendant très longtemps de son correspondant, le marquis de Ripert-Monclar, et s’en plaint, expliquant qu’elle n’avait pas d’adresse où lui écrire. Elle a pensé que cette absence de nouvelles était due à leur différence d’âge…

Elle évoque : des affaires financières avec lui (elle est apparemment en dette), un portrait d’elle et celui de la comtesse d’Hautpoul (une femme de lettres 1763-1837) qu’elle souhaite qu’il lui retourne. Elle désirerait aussi lui soumettre des idées.

 

2) 15 mars 1839, 2 p. in-8. Adresse d’envoi et marques postales.

La comtesse s’est rendu compte qu’elle lui a adressé sa lettre d’affaires, mais au mauvais numéro de la rue. Son absence de réponse l’avait blessée. Elle a été souffrante.

 

3) 10 septembre 1839, 2 p. 1/3 in-8. Adresse d’envoi et marques postales.

Elle a toujours des problèmes de santé : « il faut que ce voyage me guérisse, me remette du moins, ou je suis perdue » et doit consulter un docteur. Elle évoque un rendez-vous à Paris et l’attente d’une lettre : « un feuillet blanc » de la part du marquis, et alors elle s’y rendra.

 

4) 19 octobre 1839, 5 p. petit in-4.

Il était convenu que le silence du marquis serait « une preuve d’adhésion à la demande d’un emprunt de trois mille francs que je vous ai prié de me faciliter et qui est indispensable pour mon entreprise ». On comprend par la suite qu’elle doit effectuer des réparations sur un bien immobilier à vendre et dont le montant a grevé la totalité de ses revenus. Pour subvenir à ses besoins, la comtesse vendra plusieurs fois des biens immobiliers au cours de sa vie.

Elle poursuit en évoquant une nouvelle fois un rendez-vous à Paris avec un docteur qui transmettra au marquis des nouvelles de son état de santé qui, depuis de longues années, aurait exigé des sacrifices qu’elle n’a pas eu le courage de faire.

Et de se poser la question : « Oh, pourquoi des amis (car j’en ai de bien sincères), pourquoi quelques parents, bien qu’éloignés, n’ont-ils pas prévu qu’en me réduisant à cette état de solitude qui ne faisait plus reposer mes chances vitales que sur des forces anéanties ou me conduisait au terme d’une existence qui cependant leur est chère ?

Pourquoi n’a-t-on pas forcé ma volonté en temps utile ? Pourquoi suis-je obligée maintenant où les garanties du succès sont si incertaines à m’appauvrir sous plus faibles que moi pour embrasser la seule voie de sauvetage qui me reste ? »

Elle aurait dû sans doute profiter des rayons de l’amitié comme ceux du marquis de Ripert-Monclar, « mais par une fatalité cruelle, les personnes pleines de bonne volonté pour moi n’ont point été libres de me la témoigner au degré nécessaire et là où cette bonne volonté était moins essentielle, les usages, les convenances, ce qui est bien ce qui ne l’est pas m’ont intimidée entravée et réduite à la plus dangereuse inaction. Hélas, pour les infortunés placés dans la position où je me trouve, il n’est donc possible, il n’est donc concevable que de mourir… ».

 

5) Slnd, 3 p. ½ in8.

Elle lui annonce qu’elle part dans le Midi. Elle se soucie de la santé du marquis.

 

6) 2 juillet 1842, 3 p. ½.

Elle apprend que le marquis a définitivement quitté Paris pour Avignon sans la prévenir alors qu’ils sont en relations d’affaires et d’amitié ! Elle lui a écrit une lettre qui lui fut retournée dans laquelle elle lui disait déposer une somme d’argent à Paris. Elle évoque à nouveau la caisse qui doit lui être envoyée contenant son portrait et celui de la comtesse d’Hautpoul auquel elle tient beaucoup.

 

7) Slnd, 3 p. ½ in-8.

La comtesse lui fait part des inquiétudes du petit nombre de parents éloignés et d’amis qui lui restent du fait de son isolement absolu compte tenu de son âge et de sa santé délicate. Pendant cinq années, elle a eu l’aide d’un Polonais, père de famille, « souffrant de blessures et de tristesse », qui a vécu sous son toit. Il faisait office de factotum et lui faisait la conversation « vaille que vaille ». Il pouvait également tirer un coup de fusil, « faculté précieuse pour une femme vivant à la campagne sans famille… ». Cet homme s’étant remis, il est retourné dans la vie active et a été remplacé par un autre homme au « poste de sûreté », mais il s’est révélé « paresseux et stupide ». Elle lui demande de lui adresser, s’il le peut, un aide qui pourrait le remplacer, un homme avant tout honnête. Elle a enfin reçu les portraits, dont celui de sa « pauvre vielle amie morte depuis longtemps » (la comtesse d’Hautpoul).

 

8) Slnd, 5 p. in-8.

Cette lettre évoque des remboursements d’emprunts auprès de Ripert-Monclar.

 

9) Slnd, 2 p. in-8.

Lettre amicale et enthousiaste. Elle est ravie du voyage prévu de Ripert-Monclar à Paris. Elle nomme dans la lettre deux personnes et n’a pas compris si elles seront également à Paris ou pas. Elle lui demande de leur transmettre ses bons souvenirs.

 

10) 8 janvier 1846, 4 p. in-8.

« Une nouvelle souffrance névralgique et des affaires et des embarras dans la position des femmes isolées aband. m’ont empêchée jusqu’ici, mon cher Amédée, de répondre à votre rassurante missive ».

La comtesse est reconnaissante de l’assurance de l’accomplissement d’un « bon et amical projet », mais a encore peur que cela ne se réalise pas à Paris après « une si douce et bon espérance ». Elle lui écrit qu’elle a le « cœur gros » et qu’elle se sent « toute découragée ».

Concernant un petit accident dont elle a été victime : « Je vous remercie de vous intéresser à ce poignet douloureusement relâché dont je vous ai dit la souffrance (…) c’est pour avoir soulevé du fond d’un châssis un pot de fleurs trop lourd que je me suis donné cette entorse ». Elle compare la nature probablement à Avignon où le marquis s’est installé, « du soleil, de la verdure, des roses encore » et la nature normande où elle vit : « nous n’avons qu’un ciel nuageux, des bois noirs et surtout une terre humide où seules fougères abondent », et conclut : nous avons « les fleurs de la terre, vous avez les fleurs de la vie. Heureux ! Heureux Amédée ! ».

Elle critique durement la Normandie, son pays, celui de « l’égoïsme », de « la cupidité » de « la malveillance ». Pour ceux qui restent, « il faut non seulement s’attrister en face des rigueurs de la nature, mais il faut encore déplorer les analogies que les frimas entraînent et tout prendre et la glace comme le sel ». Elle conclut : « Dans ce triste pays, on est mort-né, moins la souffrance ! Vous me trouverez bien triste aujourd’hui, mais avec vous je suis ce que je suis ».

 

11) Mars 1846, 3 p. in-8. Adresse et marques postales.

Elle n’a pas donné de nouvelles : « un effet grippe, contrariétés domestiques, tristes nouvelles menaçant de catastrophes prochaines, voici ce qui m’a maltraitée, tourmentée, affligée à ce point que j’ai différé une réponse ». Elle s’enquiert de la santé du marquis et, lorsqu’il sera rétabli, l’invite chez elle « venez encore et venez vite » pour faire « une cure d’amitié, mais ce plaisir sera compensé par votre bien-être, et fussiez-vous robuste comme le boeuf gras, vous voir sera toujours vous voir ». Ce serait aussi l’occasion de traiter d’affaires.

Plus étonnant, elle a entendu parler de sa mère : « Il y a des siècles que je n’ai pas entendu parler de ma mère » et demande, lui qui a des relations, d’obtenir quelques informations plus précises : « Quoique séparées par des causes bien graves, l’ignorance absolue des liens si rapprochés est toujours pénible ».

 

En postscriptum sur le bord du repli : « Je suis bien triste (…) l’opportunité de votre visite amie me fera du bien ».

MARGUERYE, Anne Marie de, comtesse HAUTEFEUILLE

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